
SEUL-EN-SCENE
DUREE: 1h10
A PARTIR de 15 ans
GENRE: comédie tragique intergenerationnelle
A travers la vie d’un homme, Daniel, de splendeurs en décadences, des Trente Glorieuses à nos jours, on voit un martinet, un transistor, “Salut les copains”, mai 68, le service militaire, des hommes sur la Lune, Mitterrand président, les années fric, l’esprit Canal et la montée du Front National.
Une exploration grinçante, à la fois tendre et amère, des héritages parfois empoisonnés qu'une génération transmet à la suivante.
(extrait du texte)
DANIEL: “C’est l’histoire d’une génération qui vint au monde au moment où les tickets de rationnement n'avaient pas encore disparus et qui parvint à l'adolescence dans un pays où les rayons de supermarchés débordaient de marchandises sous cellophane.”





(extrait du texte)
DANIEL: “C’était pourtant pas trop mal parti. Ou alors faut croire, comment dirais-je, le ver était déjà dans la pomme? Qu’est-ce qu’il s’est passé entre temps ? Une vie. Rien qu’une petite vie. Ma vie.”
NOTE D'INTENTION DE L'AUTEUR
Mon Boomer est né d’un besoin personnel, qui remonte à loin, de parler de mon père. Ou plutôt, à travers lui, de raconter une génération. Celle des baby-boomers, celle qui a grandi dans l’élan des Trente Glorieuses, portée par l’essor économique, un sentiment de progrès infini et l’espoir dans un monde meilleur, plus libre, plus juste. Avant de voir, peu à peu, ces promesses s’effriter, dans une époque marquée par la crise écologique, le marasme économique et l’instabilité politique.
En partant de la trajectoire intime d’un homme - romancée mais profondément sincère - le spectacle épouse ce mouvement : l’enthousiasme du départ, presque euphorique, laisse place au désenchantement, au ressentiment parfois, à l’amertume souvent. Et dans cette fin teintée de noirceur, une ultime lueur – timide mais essentielle – persiste : celle d’une transformation possible. Trajectoire intimes et historiques sont ici indissociables.
Ce spectacle est aussi une tentative de saisir, sans jugement a priori, ce qui sépare – et relie – deux générations d’hommes. Il interroge le rapport père-fils, sans que jamais ce dernier n’intervienne explicitement. Le fils, s’il est absent en tant que personnage, est cependant partout en filigrane, dans le regard, dans les mots qu’on n’ose pas toujours dire, dans ceux qu’on aurait aimé entendre. Dans les silences aussi. Il est l’ombre portée du texte, un témoin à la fois attendri, admiratif et en colère. Le fils, c’est peut-être moi, mais c’est peut-être aussi une bonne part de ceux de ma génération. J’ai entendu autour de moi des phrases, des souvenirs, des anecdotes qui résonnaient avec ce que j’écrivais sur mon père. J’ai mené l’enquête, et se dégage de ce personnage quelque chose d’universel dans sa splendeur comme dans sa solitude. Dans ce qu’il a transmis et dans ce qu’il n’a pas su dire.
Je n’ai pas voulu créer de mise à distance critique avec cette figure de père. Le personnage parle avec ses mots, ceux d’une époque, ceux aussi d’une culture masculine où les émotions se taisent, où l’on avance souvent sans se retourner. Il pense comme il pense, avec ses maladresses, sa virilité, ses souvenirs, ses failles. J’ai tenu à respecter cette langue, ce ton, cette franchise brute, parfois gênante (« Ok boomer ! »). Ne pas le juger, ne pas le corriger, c’était la condition pour que quelque chose de plus profond se révèle : un mélange d’orgueil, de solitude et de désarroi face à un monde qui a changé sans lui. Ne pas chercher à le faire entrer dans les normes de notre temps et refuser la condescendance m’ont permis de mieux faire apparaître, en creux, les transformations profondes de nos sociétés et notamment celles qui concernent la masculinité, le rapport aux femmes, la place des pères.
Il y a de l’humour dans Mon Boomer. Dans l’écriture, bien sûr, mais aussi dans les situations, dans les contradictions du personnage, dans ses excès, ses formules, ses silences même. Un humour qui ne cherche jamais la moquerie, mais qui surgit naturellement de cette humanité débordante, parfois maladroite, souvent touchante.
Ce n’est pas une confession, encore moins un règlement de comptes. C’est une tentative de comprendre, de faire dialoguer les époques et les générations à travers une vie, d’explorer cette zone trouble où l’amour filial se mêle au doute et au besoin de dire enfin. Écrire ce texte a été une forme de catharsis. Une manière d’ouvrir un dialogue intérieur, de mettre des mots sur des émotions longtemps contenues. J’espère qu’en cela, le spectacle pourra, à son tour, servir à d’autres. Qu’il fasse rire, qu’il émeuve, qu’il remue quelque chose chez ceux qui se reconnaîtront, ou qui reconnaîtront leur père. Qu’il soit, au fond, une tentative de dialogue entre générations.
Mon Boomer est donc un hommage ambigu, tendre et sévère à la fois. Une manière d’interroger notre héritage, de scruter le miroir que cette génération nous tend. Avec, peut-être, le rêve secret que ce miroir nous aide à mieux voir qui nous sommes. C’est une lettre qu’on aurait voulu écrire à son père, et qu’on finit par adresser à son époque.
Romain Noury